La psychologue Pierrette Desrosiers est l’une des figures les plus en vues dans le milieu agricole. Vous avez peut-être lu ses chroniques dans Le Bulletin des agriculteurs ou avez déjà assisté à l’une de ses nombreuses conférences. En véritable pionnière, Pierrette Desrosiers a adapté la pratique de la psychologie du travail aux besoins spécifiques des agriculteurs. Une clientèle qu’elle connaît et aime intimement.
« Aucun psychologue ne se reconnaît dans mon genre de pratique, dit-elle. Oublie ça les rencontres de 50 minutes. Avec moi, ç’a toujours été du « sur mesure ». Je me déplace au moins une fois pour voir l’entreprise de mes clients. Parfois, c’est eux qui viennent à mon bureau, d’autres où on se rencontre à mi-chemin. Des fois, on se voit une journée complète pour couvrir plusieurs sujets. Il y a aussi le téléphone et maintenant zoom. Je m’ajuste. »
Il faut dire que Pierrette baigne dans le milieu depuis toujours étant fille, sœur et femme d’agriculteurs. D’ailleurs, plusieurs évènements familiaux ont été des marqueurs pour elle. « J’ai un frère qui est décédé à la ferme, un accident de tracteur, il avait 13 ans. Toute la famille a été très affectée par ce drame-là. Mon père a fait une dépression majeure par la suite, en plus d’être devenu handicapé à l’âge de 47 ans. » Sans compter l’association entre ses frères sur la ferme qui a tourné au vinaigre. « J’ai été l’actrice et la spectatrice en même temps de ces drames. Voir des gens en détresse autour de moi sans avoir la capacité à intervenir. C’est certain que ça a influencé inconsciemment mon choix de carrière. »

À l’âge de 24 ans, mariée, mère de trois très jeunes enfants, elle entreprend une démarche en orientation. « J’ai marié un agriculteur, mais je n’aimais pas le métier d’agricultrice. À ce moment-là, je suis une jeune adulte qui se cherche et qui veut se réaliser, relate-t-elle. On me dit que j’ai le profil pour être une psychologue du travail. » Avec la vision de travailler un jour dans une grande firme, elle entame donc un retour aux études, et ce, dans une université anglophone. À noter qu’elle maîtrise alors très peu la langue de Shakespeare, mais c’est l’unique institution qui permet la poursuite d’études à temps partiel. « Je ne le recommande à personne, rigole Pierrette. Les conditions gagnantes étaient réunies pour réussir, mes enfants étaient en santé, mon mari me soutenait. J’avais la chance d’avoir beaucoup d’énergie, d’être extrêmement structurée et productive. Les priorités étaient la famille, la ferme et les études. Pendant les neuf ans de mes études, on a coupé la vie sociale, l’implication dans les comités, c’était un choix. On savait pourquoi on le faisait. »
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Vers la fin de ses études, elle est amenée à prononcer une première conférence sur le stress, un sujet tabou à l’époque. « C’est une femme qui m’avait demandé d’aller parler du stress devant des agriculteurs. Ça lui a pris des mois à convaincre le comité organisateur de me laisser donner gratuitement une conférence. » Un peu plus tard, on ne veut pas inscrire son titre de psychologue dans le programme d’un colloque de peur que les gens quittent la salle au moment de sa conférence. « Les gens ont vite compris que je connaissais leur réalité, je mettais des mots sur des choses qu’ils vivaient réellement, mais ma carte maîtresse pour aborder les agriculteurs a été l’humour », indique la psychologue.
Un homme la contacte après l’avoir entendu parler du burnout en conférence. Elle va le rencontrer. « Il n’avait jamais été reconnu par sa mère. Il me montrait tous ses trophées. Je lui ai demandé : combien d’entre-eux sont pour ta mère? Il s’est écroulé. À ce moment-là, j’ai eu la conviction profonde que ma place était avec les agriculteurs et je n’ai jamais remis ça en question par la suite. » La demande a très vite dépassé la capacité à répondre aux besoins de la clientèle. « Je faisais des conférences ou écrivais des articles, ensuite les gens m’appelaient pour des consultations. J’ai toujours aimé faire de la prévention. C’est le rêve de tout intervenant de juste être en prévention, car quand les gens t’appellent c’est que ça va mal. »
Semer des graines, inciter les gens à consulter lors de difficultés, rendre la psychologie moins taboue ont été des moteurs pour Pierrette au cours de sa carrière. « Psychologue en agriculture, ça n’existait même pas quand j’ai commencé. Aujourd’hui, les gens consultent davantage et c’est tant mieux, car il y a encore beaucoup de détresse. Les défis sont énormes dans le secteur, ça va plus vite. Les gens veulent tout, c’est impossible. Quand tu connais tes valeurs et tes priorités, tu sais à quoi dire oui, mais ça veut aussi dire renoncer à un paquet d’autres choses. »
Livre : Le piège du bonheur, du médecin Russ Harris. « À courir trop après le bonheur, souvent on l’échappe. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, il y a parfois des nuages, des périodes difficiles et il faut l’accepter. Le livre explique ce paradoxe. Tout le monde devrait le lire! »
Film : Retour vers le futur, du réalisateur Steven Spielberg. « Dans ce film, il y a toute la notion de corriger le passé pour changer le futur. Souvent les gens ont des regrets, mais ce qu’on est aujourd’hui est la somme de toutes les expériences qu’on a vécues. On ne sait pas comment serait notre vie si on avait choisi un parcours différent. »
Personnage : « J’admire l’humanité exemplaire de ma médecin de famille, ce qu’elle dégage. Elle prend le temps avec chaque patient et nous donne l’impression d’être la personne la plus importante du moment. J’aimerais que les gens ressentent ce que je ressens avec elle quand je suis avec eux. »
Citation : « On ne choisit pas les épreuves auxquelles on fait face dans la vie, mais on peut choisir comment y réagir. Une phrase de Victor Frankl, un psychiatre qui a été fait prisonnier pendant la Deuxième Guerre mondiale. C’est ce qu’on appelle la dernière des libertés. »
Passe-temps : « Je suis une maniaque des plantes vertes, j’adore les observer croître. J’en ai partout, dehors et dans la maison. Je suis passionnée aussi de piano. J’avais suivi des cours étant jeune et m’étais toujours dit que je m’y remettrais un jour. »
Vision de l’agriculture : « Ceux qui vont réussir sont ceux qui développent leurs compétences humaines et relationnelles. Comme entrepreneur, il faut connaître ses valeurs, ses priorités, ses forces, ses faiblesses. Être capable de gérer le stress et de bien communiquer. Des défis, l’industrie va continuer à en vivre. Pour être capable de les relever, il faudra énormément d’habiletés humaines, pas seulement techniques. »