Faire durer: innover ou crever

Publié: 17 décembre 2024

Faire durer: innover ou crever

L’évolution de la durabilité d’une ferme. C’était la première fois que j’avais à partager une présentation sur ce sujet. On a une plage de trois heures à se partager à trois. Comment on fait pour rendre ça vivant afin de garder l’attention de nos 60 étudiants?

La meilleure idée qu’on a eue c’est de faire le cheminement chronologique de notre ferme en partant de sa naissance tout en traversant différentes étapes importantes qui ont graduellement orienter le cheminement de la ferme et de nous-mêmes jusqu’à aujourd’hui.

On en discute ensemble et ça semble évident que la meilleure approche serait de commencer à mettre du vécu, accompagné de l’appui scientifique qui explique la phase dans laquelle se retrouve la ferme et ses actionnaires dans cette même période.

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J’ai trouvé ça difficile de passer du verbal à l’écrit. Mettre en évidence les bonnes phrases courtes et précises sur une présentation. On parle de durabilité mais je retourne à nos débuts en expliquant les périodes de découverte, curiosité et même plusieurs périodes de fragilité autant financière qu’humaine.

Périodes de fragilité qui forgent le caractère ou nous obligent à prendre certaines décisions d’en vivre et non de mourir à petit feu. On se considère chanceux d’avoir eu de bons conseillers pendant notre parcours. Chanceux d’avoir pris tel virage dans le bon moment. Chanceux de ne pas être tombé dans le piège des comparaisons de groupe. Pas parce que ce n’est pas bon en général.

Mais une fois que tu comprends les vrais enjeux de ta ferme et que tu sais que tu dois faire autrement pour survivre pendant que plusieurs te mentionnent : « Tu ne feras jamais cette grandeur là avec juste ça! » Vous ne pouvez pas savoir le nombre de fois qu’on a reçu ce genre de commentaire dans notre cheminement. En fait, c’est quoi ça le « juste ça! »?  

Pourtant si on s’était contenté de copier la façon de fonctionner de plusieurs autour, ça nous aurait dirigé directement dans le champ gauche et donné raison aux autres qui disaient qu’on n’y arriverait pas. Pas parce que les autres ne font pas bien mais plutôt parce que nos défis ne sont pas les mêmes. On ne part pas de la même place!

C’est ça le point charnière de notre cheminement : définir un plan d’affaires qui répond à notre propre situation collée à nos objectifs humain. Et même si on se donne des objectifs clairs, on a senti le besoin de les réviser à différentes périodes. C’est ce qui a donné de la place à l’augmentation des indicateurs de performances, qui s’ajoutent à notre processus de décisions que Sylvestre explique très bien.

Indicateurs dans notre période critique 4 ans après nos gros investissements. Innover ou crever…

Et pendant que j’explique ces périodes charnières je revis un peu les émotions intérieures de chacune de ces épisodes de remises en question. Les chiffres me reviennent, le vécu intérieur me revient aussi. Ça vient me chercher comme si j’y étais voilà 35-25-ou 15 ans derrière. Voilà qu’on arrive dans la période de réappropriation du contrôle de notre ferme et de notre vie.

Les nuages se dispersent et on se colle à nos objectifs. Les résultats s’améliorent même avec « seulement ça » : moins de HP/ha, moins de travail, moins d’endettement, moins d’intrants reliés aux carburants, moins exposé aux variations de ces fameux cours du pétrole qui seront toujours plus difficile à cerner.

Je recommence à aimer l’hiver qui était pourtant ma saison préférée que j’avais appris à détester parce que le déneigement venait tout gâcher. Tout ça pour arriver à rentabiliser le tracteur. On s’est donné comme objectif de bien les entretenir et les garder longtemps afin de revivre des hivers loin des avertissements météo.

Hum! Aujourd’hui j’ai retrouvé mes hivers en m’amusant dans la neige tout en gardant mes énergies pour exploser tôt au printemps. Sentir une satisfaction à marcher nos terres, épurées des champs de semences, à la recherche des intrus. Observer et essayer de comprendre ce qui se passe sous nos grosses bottines. Le sol notre plus important actif qu’on a tendance à négliger au profit de la rutilante ferraille qu’on traite comme un dieu.

Eh non! On n’a pas ça! Cependant on nourrit plus de gens qu’avant. On a diminué nos émissions de GES. On accueille une plus grande biodiversité. 8 ha d’aménagements dédiés à la biodiversité. N’importe quel analyste peut nous dire : vous perdez XX$ à chaque année! C’est facile. C’est cartésien.

On oublie l’effet positif en arrière-plan qui explique peut-être certains constats agronomiques. On n’applique plus d’insecticides semences depuis 8ans. On na pas besoins d’éliminer les pucerons dans le soya car les coccinelles s’en chargent. Les vers de terres se multiplient à vitesse grand V. Les chercheurs observent plus de variétés d’espèces, et en plus grand nombre. Même chose pour les oiseaux.

Difficile à entrer dans un chiffrier mais facile à considérer dans la fierté de réaliser que notre savoir- faire d’agriculteur porte fruit tout en défaisant les mythes entourant la légende que le fait de faire des productions végétales détruit la biodiversité alors qu’on démontre que c’est tout le contraire.

Finalement toutes ces pirouettes jugées non rentable à l’occasion nous ont permis d’améliorer nos performances financières quand on nous compare à des groupes de fermes similaires. Tout ça avec « juste ça »!

Indicateurs après la reprise du contrôle de la destinée de la ferme et des partenaires sur la ferme. Meilleure rentabilité, plus de vision pour l’avenir, élargissement des actions complémentaires afin d’atteindre les objectifs du nouveau plan d’affaires.

On a maintenant une ferme en phase maturité. On s’y sent bien malgré le défi constant d’essayer de se garder un peu plus de temps personnel. C’est ce qui a tendance à arriver quand notre slogan c’est : « l’agriculture on en mange! »

Notre modèle de ferme est-il vraiment durable? Difficile à dire. Durable aujourd’hui parce qu’on a pris une foule de décisions en amont. Durable demain et plus tard. Peut être, on s’y prépare doucement tout en gardant en tête de garder une ferme qui assure une bonne flexibilité pour les développements futurs.

 Je me vois facilement poursuivre ma carrière d’agriculteur dans un rôle de soutien. Donner un coup de main, marcher les champs, et faire le tour des bandes riveraines tout en essayant de croquer quelques noix s’il me reste encore des dents.

Cette terre nous a accueillis à notre naissance, nous a vus grandir, nous a fait grandir, tout en nous permettant d’en vivre parfois face au vent mais en gardant toujours le cap sur nos aspirations d’ÊTRE agriculteur. On a réussi avec « juste ça »! Ma présentation se termine. Je suis crevé! Je décompresse pendant le 2 heures de route de retour. Je me sens fier de tout ce qu’on a réussi à faire ensemble. Pierrette 84 ans sur le SIGA Évo (pas pire!) Pierre et moi.

J’ai congé clavier pour le temps des fêtes. Je reviens au boulot le 6 janvier prochain. Je vous souhaite un joyeux temps des fêtes et je vous souhaite à tous : D’être fier de ce qu’on arrive à faire avec « juste ça »!

Profession agriculteur

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Caplette

Paul Caplette

Agriculteur et collaborateur

Paul Caplette est passionné d’agriculture. Sur la ferme qu’il gère avec son frère en Montérégie-Est, il se plaît à se mettre au défi et à expérimenter de nouvelles techniques. C’est avec enthousiasme qu’il partage ses résultats sur son blogue Profession agriculteur.