Impossible d’y échapper, l’application des normes d’émissions Tier IV Interim pour véhicules agricoles débute en 2011. Deux technologies s’affrontent, les manufacturiers ont choisi leur camp. Avez-vous choisi le vôtre?
Publié dans Le Bulletin des agriculteurs de décembre 2010
par Philippe Nieuwenhof, ing. jr
À l’aube de l’entrée en vigueur de la dernière phase des normes d’émissions pour équipements agricoles, l’impact de la règlementation et de la technologie sera plus perceptible que jamais. Depuis 15 ans, les émissions de gaz d’échappement pour les véhicules agricoles ont été soumises à trois étapes de réduction de la pollution.
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En 2011, la norme Tier IV Interim aura force de loi, d’abord pour les moteurs de 175 à 750 ch. C’est la dernière étape avant la phase finale Tier IV qui débute en 2014. Au final, les émissions seront si «propres» qu’on peut imaginer un tracteur dans un bouchon de circulation qui nettoie l’air vicié ambiant par son moteur! Ce dernier pas dans la réduction de la pollution est en fait le plus imposant, il requiert des efforts très importants de la part des constructeurs. Pour les trois premières phases, les impacts ont été discrets sur l’opération et le design des tracteurs. Les constructeurs ont pu se conformer en ajoutant des soupapes au moteur, puis en adoptant la rampe commune d’injection à haute pression et les contrôles électroniques. Toutefois, la dernière marche comporte des impacts plus concrets pour l’utilisateur.
Deux polluants, un compromis
Les normes Tier développées par l’Environmental Protection Agency (EPA), aux États-Unis, ne visent pas particulièrement les gaz à effet de serre comme le C02 ou la consommation de carburant. Les cibles principales sont plutôt les polluants associés aux moteurs à combustion. On a largement réduit le monoxyde de carbone et les hydrocarbures non brûlés. Les oxydes d’azote (NOx) et les particules de suie (Particulate matter (PM)) sont les cibles ultimes. Ces deux polluants sont associés surtout aux moteurs diesel.
En appliquant les normes prévues à l’ensemble de la flotte de véhicules (voitures, camions, tracteurs, etc.), l’EPA estime que plus de 12 000 morts prématurées, 15 000 crises cardiaques et des dizaines de milliers de problèmes respiratoires seront épargnés aux États-Unis seulement. La présence des NOx engendre des concentrations d’ozone à basse altitude, ce qui est un irritant majeur. Les particules rejetées par la combustion incomplète du carburant diesel (fumée noire) s’avèrent, quant à elles, un produit très toxique.
La difficulté de rendre les moteurs plus propres avec le minimum de composantes provient d’un compromis inévitable entre les NOx et les PM. Si la combustion du moteur est ajustée pour s’effectuer à haute température et pression, le carburant est entièrement brûlé, les PM sont éliminés, mais une grande quantité de NOx est générée par la réaction de l’azote et de l’oxygène présents dans l’air. À l’inverse, si on minimise la production des NOx en diminuant la température de combustion et la concentration d’oxygène, on génère davantage de PM. Il en découle deux approches différentes adoptées par les fabricants de tracteurs, soit la réduction sélective catalytique (SCR) et la recirculation de gaz d’échappement(EGR).
Deux philosophies
Réduction catalytique sélective (SCR)
Les moteurs qu’utilisent AGCO et CNH proviennent principalement d’Europe, où la technologie SCR est largement dominante dans le secteur du transport et déjà bien intégrée au plan des infrastructures. L’avantage principal de la SCR provient du fait que le traitement se fait totalement à la sortie du moteur. Un mélange d’eau et d’urée (appelé Diesel Exhaust Fluid (DEF)) est injecté dans les gaz d’échappement pour transformer les NOx en vapeur et azote avec l’aide d’un catalyseur. La combustion peut donc être calibrée pour maximiser l’efficacité du moteur et sa performance, sans se soucier des émissions à priori. On promet ainsi d’importantes économies de carburant tout en compensant pour la consommation et le coût du DEF. Le processus de réduction catalytique se fait automatiquement et l’opérateur n’a pas à intervenir. Les composantes nécessaires sont relativement simples : un réservoir, un système d’injection et de contrôle et le pot catalytique où la réaction se produit.
L’impact se trouve dans le fait de devoir faire le plein de deux fluides différents. Autant AGCO que CNH ont conçu leurs réservoirs d’DEF pour durer deux pleins de diesel. Étant donné que l’DEF gèle à -11 oC, il doit être conservé à l’intérieur l’hiver. Si le réservoir d’EDF du tracteur est vide, gelé ou le mélange de mauvaise qualité, la puissance du moteur est limitée (par exemple, 50 % sur les MF 8600) jusqu’à ce qu’il dégèle grâce au liquide de refroidissement du moteur ou que le réservoir soit rempli.
Les constructeurs assurent que le réseau de distribution du liquide DEF est établi, plusieurs camions routiers sont maintenant équipés de cette technologie et les fournisseurs de carburant en feront la distribution tout comme les concessionnaires. On voit aussi les manufacturiers offrir une réserve de DEF à l’achat d’un tracteur équipé de la technologie SCR. Finalement, la possibilité de remplir le réservoir de DEF pendant qu’on fait le plein de diesel sans changer sa routine est un argument souvent avancé.
Recirculation des gaz d’échappement et traitement postcombustion (EGR+TPC)
Les fabricants ayant choisi l’EGR sont majoritairement d’importants fournisseurs américains de matériel de construction. Ces clients sont plus susceptibles d’être irrités par la nécessité d’un deuxième fluide, non nécessaire avec l’EGR. Alors que la recirculation de gaz d’échappement suffisait pour se conformer aux normes Tier III, une forme de traitement postcombustion est nécessaire pour la norme Tier IV Interim. Selon le fournisseur, ceci inclut un pot catalytique qui élimine le carburant non brûlé, un filtre à particules qui capte la suie, ou tout autre système similaire.
L’impact sur le design du tracteur est du côté du pot d’échappement qui gagne en volume pour recevoir ces éléments. Étant donné qu’on fait refroidir et recirculer plus de gaz d’échappement dans le moteur, les radiateurs et le capot gagnent en volume pour gérer le surplus de chaleur. En général, les intervalles d’entretien (changements d’huile) seront plus fréquents que sur un moteur à SCR, à cause du potentiel de contamination de l’huile par les gaz d’échappement qui sont retournés aux pistons. Sur les plus gros moteurs, on voit aussi l’apparition d’un deuxième turbo, pour améliorer l’apport en air et les performances à bas régime.
Du côté opération, les bons systèmes ne requerront aucune intervention. L’opérateur ne verra aucune différence. Le filtre à particules, qui s’encrasse avec le temps, est régénéré automatiquement par l’injection d’une petite quantité de diesel, pour brûler la suie accumulée. Cela se produit lorsque la température à l’intérieur du filtre n’est pas suffisante, par exemple lorsque le moteur n’est pas fortement sollicité. Il est possible que des systèmes requièrent l’arrêt du tracteur pour la régénération du filtre. C’est une question à poser au représentant. Tout comme pour l’entretien du filtre requis après environ 5000 heures.
On y gagne quoi ?
Énormément de développement a été réalisé pour réduire la consommation et augmenter les performances, malgré les contraintes sur les émissions. Les améliorations passent d’ailleurs beaucoup par la gestion électronique qui se raffine sans cesse et pas seulement au niveau du moteur. Tous les constructeurs promettent des améliorations ou un maintien des coûts d’opération pour les tracteurs conformes Tier IV Interim. La panoplie de nouveaux modèles mis sur le marché cet automne n’a pas encore été testée par le Nebraska Tractor Testing Laboratory, qui sert de référence dans l’évaluation des performances. Ce même laboratoire est à revoir ses protocoles de tests pour prendre en considération la consommation de DEF et de diesel pour la régénération des filtres. Chaque système aura ses forces et ses faiblesses selon les conditions d’opération et il faudra prendre en compte les coûts d’opération et d’entretien pour les deux approches.
On sent bien la retenue de chaque camp de dénigrer l’autre avec trop de vigueur. En effet, jusqu’à maintenant la solution la plus envisagée pour la phase finale de la norme Tier IV inclura un mélange de SCR et d’EGR pour certains constructeurs. Bien que certains assurent pouvoir s’y conformer avec la SCR seulement. La recherche d’autres solutions se poursuit également. Est-ce que l’application des normes Tier IV aura un effet sur le choix de votre prochain tracteur ?
Description des photos
Les photos sont publiées dans le magazine imprimé
1. La norme Tier IV requiert une réduction de 90 % des émissions de particules (PM) et 50 % des oxydes d’azote (NOx) par rapport au Tier III.
2. La rampe d’injection commune à très haute pression et les contrôles électroniques sont essentiels pour réduire les émissions et augmenter les performances.
3. Le mélange d’eau et d’urée injecté dans les gaz d’échappement réagit avec les oxydes d’azote avec l’aide d’un catalyseur.
4. Les tracteurs équipés de la technologie SCR possèdent un réservoir de mélange d’urée et d’eau, non toxique et biodégradable, portant un bouchon bleu.
5. La technologie EGR consiste à faire recirculer une partie des gaz d’échappement dans la prise d’air du moteur pour réduire les NOx.
6. Sur les John Deere 8R 2011, le filtre à particules et catalyseur remplace le silencieux.