Après l’embellie des dernières années, il semble bien que la fête soit finie sur le marché des grains. La frénésie qui s’est emparée des marchés avec la COVID-19 et la guerre en Ukraine cède maintenant la place à un marché où l’offre n’est plus un problème, au contraire. Autant au niveau international qu’au niveau local, il semble que le marché soit maintenant favorable aux acheteurs. Il faut donc s’attendre à ce que les prix déjà en nette baisse depuis le début de l’année continuent de descendre.
C’est à ce constat que les observateurs des Producteurs de grains du Québec (PGQ) en sont venus lors d’une présentation faite en ligne le 18 mai dernier sur les Perspectives des marchés et récoltes 2023. Étienne Lafrance et Ramzi Yelda, respectivement agent d’information sur les marchés et analyste principal des marchés, ont présenté à tour de rôle les différents éléments qui laissent présager une tendance baissière pour les prochains mois.

Dans un aperçu de l’offre et la demande, il semble que l’offre dépasse largement la demande et qu’il en sera ainsi pour le reste de l’année. Dans sa dernière estimation des superficies semées et des récoltes anticipées, le département américain de l’Agriculture (USDA) prévoit une production importante, autant pour le soya que le maïs. Le rendement et la production de maïs enregistreraient des niveaux records et la production de soya égalerait le record précédent. « Avec des semis qui roulent très bien, ça démarre sur des chapeaux de roues », commente Ramzi Yelda.

Le problème est que ces projections ont lieu alors que les exportations américaines ne vont pas très bien. Bien que la Chine accapare 60% des importations mondiales de grains, le pays ne consomme que très peu du côté des État-Unis. Il préfère le Brésil qui affiche une récolte record et des prix avantageux. L’Ukraine joue également un rôle, car elle liquide ses récoltes à des prix très bas, en raison du conflit armé qui sévit dans le pays.
Le prix du blé, qui a connu des niveaux stratosphériques avec la guerre en Ukraine, redescend. La raison vient principalement des récoltes abondantes à la fois en Russie et en Australie. L’Ukraine réussit à écouler ses grains, malgré le contexte, ce qui alimente les stocks.

Étienne Lafrance et Ramzi Yelda avertissent qu’il ne faut pas s’attendre à ce que les conditions s’améliorent à court terme sur les marchés du côté de la demande. La Russie réussit très bien à écouler ses grains, qui ne sont pas frappés par les mesures de représailles des pays de l’Ouest. La production de grains du Brésil augmente graduellement, grâce à une hausse de 5% par année des superficies semées. Le gouvernement a d’ailleurs construit trois nouveaux ports pour sortir ses grains, ce qui fait passer le pays devant les États-Unis pour la production de soya. La Chine profite, pour sa part, de son rôle d’importateur de premier rang à des fins géopolitiques, mêlant politique et économique dans ses décisions d’achat à l’étranger. L’Australie et le Canada en ont d’ailleurs fait les frais dans les dernières années. Avec une place boursière comme Chicago qui influence grandement les prix à l’échelle nord-américaine, « les exportations font faire la différence (sur les prix)», selon Ramzi Yelda.
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Dans ce contexte, le marché local pourrait faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Les conditions sont toutefois mitigées. Statistique Canada prévoit des superficies importantes en maïs au moment où la demande chute au Québec en raison des problèmes du secteur porcin. L’inflation remonte encore dernièrement, ce qui ramène de l’avant une autre hausse des taux d’intérêt, ou un report des retranchements de ces derniers par la Banque du Canada. Les prix sont toutefois soutenus par une devise canadienne qui se maintient aux alentours des 73 cents américains. En résumé, Étienne Lafrance et Ramzi Yelda voient le maïs baisser encore, avec peu de support à l’horizon. La situation du soya est meilleure avec une base locale plus intéressante.

Les analystes de PGQ recommandent cependant de surveiller les révisions de la part du USDA et de Statistique Canada, les deux prévues à la fin de juin. Selon eux, les prévisions sont plutôt optimistes et la situation en juin reflètera davantage la réalité.
Il ne faut pas compter sur le phénomène El Nino pour miser sur un rebond des prix, une éventualité trop risquée et imprévisible, tandis que la récession n’aura que peu d’impact, si elle survient, puisque tout revient « à une question d’offre et de demande », déclare Ramzi Yelda. « Même la perspective de réchauffement climatique et de ses aléas sur les cultures devrait être prise avec circonspection. Même qu’en temps sec, les plantes peuvent être en mesure de donner un rendement convenable, en raison d’une plus grande résistance à la sécheresse des cultivars ou de pluies tombant au bon moment dans le développement de la plante », rappelle Étienne Lafrance.
Pour ceux qui auraient encore beaucoup de grains à écouler, il vaut mieux agir rapidement et sans miser sur une catastrophe météo pour faire rebondir le marché. «Je conseillerais aux producteurs de vendre une bonne partie de leur récolte maintenant. Grâce aux données du Système de recueil et de diffusion de l’information (SRDI), on constate bien que le marché local ne rémunère pas le producteur à entreposer son grain. Je lui conseillerais tout de même d’en garder une petite partie pour capter des opportunités de marché en cas de temps sec aux États-Unis ou d’une perturbation géopolitique entre la Russie et l’Ukraine. Cependant, il ne faudra pas trop compter là-dessus, ce sont des éléments difficilement prévisibles », conclut M.Lafrance.