Imaginez pointer votre téléphone vers une vache et voir s’afficher la traduction de son meuglement. Science-fiction? Presque pas! Une équipe de chercheurs de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, vient de lancer une application capable d’entraîner les éleveurs à reconnaître ce qui se cache derrière un simple « meuh ».
L’IA au service des éleveurs
Baptisée MooLogue, cette application est l’une des deux nouveautés signées par le professeur Suresh Neethirajan et son équipe Mooanalytica. La seconde, appelée DairyAir Canada, permet d’évaluer rapidement la production de méthane dans une exploitation laitière au cours des 15 dernières années. Deux outils qui démontrent la puissance des technologies d’analyse issues de l’intelligence artificielle.
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« MooLogue peut aider quelqu’un qui n’a jamais travaillé avec des vaches, ou qui vient d’un autre secteur d’élevage comme le porc ou la volaille, à comprendre ce qu’il entend dans une étable laitière », explique Suresh Neethirajan, qui enseigne à la fois à la faculté d’informatique et à celle d’agriculture de Dalhousie.
Des capteurs à l’écoute des vaches
Pour créer la base de données sonore de l’application, les étudiants ont installé capteurs et enregistreurs dans 13 fermes à différents endroits : salle de traite, stalles, aires de vêlage, etc. Résultat : des centaines d’heures de vocalises bovines, associées à des images vidéo et analysées par intelligence artificielle pour comprendre à quoi correspond chaque son.
Les chercheurs ont ainsi établi des correspondances précises :
- Lorsqu’une mère tisse des liens avec son veau, elle mugit à une fréquence comprise entre 120 et 280 Hz, émettant des murmures à basse fréquence qui peuvent durer jusqu’à 2,5 secondes.
- Lorsqu’une vache est en détresse, ses cris sont plus urgents, à une fréquence comprise entre 600 et 1 200 Hz, et peuvent durer plus de trois secondes.
Les chercheurs peuvent désormais déterminer quand les vaches sont sur le point d’être nourries et quand elles se saluent entre elles. Ils peuvent également déterminer quand elles sont en chaleur. Ces résultats ont été validés par des éleveurs expérimentés, qui savent déjà interpréter ces signaux instinctivement.
Mais dans un contexte où de plus en plus d’employés agricoles n’ont pas grandi dans une ferme, ces sons deviennent un outil d’apprentissage précieux. « Les utilisateurs peuvent s’exercer avec l’appli : voici un cri de faim, voici un signe de frustration, voici une vache en chaleur », décrit Suresh Neethirajan.
L’application pourrait aussi servir aux étudiants vétérinaires, leur permettant de se familiariser avec le comportement des bovins sans contact direct.
Vers une « vigie » pour vaches ?
Les prochaines étapes vont encore plus loin : l’équipe imagine une«boîte noire» placée dans l’étable, capable d’enregistrer, d’analyser et d’envoyer automatiquement des rapports au producteur.
Un doctorant travaille déjà sur un véritable traducteur bovin, utilisant le traitement du langage naturel pour convertir les meuglements en phrases compréhensibles. En analysant plus de 300 contextes différents de frustration, les chercheurs ont remarqué que certains « schémas sonores » revenaient systématiquement — presque comme des syllabes ou des mots.
Les travaux portent pour l’instant sur la race Holstein, la plus répandue dans les fermes laitières canadiennes, mais des recherches sont aussi menées sur les bovins de boucherie, plus difficiles à étudier, car souvent élevés à l’extérieur.
Suivre les émissions de méthane à la ferme
L’autre application, DairyAir Canada, s’attaque à un enjeu environnemental majeur : les émissions de méthane, issues des rots des vaches et des fosses à lisier. Peu d’outils permettaient jusqu’ici de mesurer ces rejets à l’échelle de la ferme.
Grâce à des données croisées de trois satellites — NASA Terra, Sentinel-5P (Europe) et GOSAT (Japon) —, l’équipe de Dalhousie a pu établir une cartographie fine des émissions pour chaque exploitation laitière du pays entre 2010 et 2024.
L’application offre bien plus qu’un simple instantané, elle permet :
- de comparer les résultats d’une ferme avec ceux d’autres exploitations dans un rayon de 50 à 100 km;
- d’obtenir des moyennes provinciales et nationales;
- d’analyser les tendances selon les saisons et de télécharger des rapports détaillés.
Selon les chercheurs, les émissions de méthane ont globalement augmenté au cours des 15 dernières années, avec des variations selon les régions : certaines années, l’Ontario menait le classement, d’autres fois, c’était le Québec.
Des outils pour agir
Pour Suresh Neethirajan, ces nouvelles données offrent enfin un point de référence aux producteurs, leur permettant d’ajuster leurs pratiques. Le projet a reçu l’appui des Producteurs laitiers du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, ainsi que de plusieurs programmes gouvernementaux de financement de l’agriculture.
Les deux applications — MooLogue et DairyAir Canada — sont dès maintenant disponibles sur Apple et, depuis le 14 octobre, sur Android.
Grâce à elles, le monde laitier entre un peu plus dans l’ère de l’intelligence artificielle… et les vaches n’auront bientôt plus de secrets pour leurs éleveurs.
Cet article de John Greig publié dans Farmtario a été traduit et adapté par Le Bulletin des agriculteurs.
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