La Banque du Canada a créé une légère surprise en ne haussant les taux mercredi dernier que de 0,5% de point de base à 3,75%. Il ne faut cependant pas se leurrer, cette augmentation n’est pas la dernière et d’autres suivront pour juguler l’inflation, toujours à des niveaux extrêmement élevés.
Depuis le début du resserrement de la politique monétaire au pays, six hausses ont été appliquées aux taux d’intérêt en 2022, qui se situaient en février dernier à 0,25%.
Pour les producteurs agricoles, les impacts vont se faire sentir sur plusieurs fronts, affirme Denis Boies, gestionnaire d’équipe à la Direction adjointe de l’enseignement à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec, Campus de La Pocatière. Trois types de dépenses fixes sont particulièrement vulnérables à la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation. « Il y a le pourcentage consacré aux dépenses (comme les intrants), celui des paiements reliés aux taux d’intérêt et les retraits faits par le propriétaire pour payer un salaire ou payer les employés. Tout ça augmente en même temps et met de la pression sur le solde résiduel de l’entreprise », explique-t-il.
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L’ombre d’une récession plane également. Les signaux deviennent de plus en plus forts de la part des différents gouvernements et banques centrales. Pour Denis Boies, cette prochaine crise sera différente de celle de 2008, qui a été très intense mais assez brève. Cette fois-ci, il faut rééquilibrer l’offre et la demande globale qui a été mise à mal par la pandémie et la guerre imprévue entre l’Ukraine et la Russie. Impossible de dire combien de temps prendra cet ajustement qui dépasse nos frontières. Et nul n’est à l’abri des impacts économiques.
« La demande peut diminuer, même pour l’alimentation. En situation de récession, si le prix en épicerie augmente, les denrées d’ailleurs vont être privilégiées si elles sont moins chères. C’est le prix qui va dicter les décisions », explique l’expert. L’année 2023 sera, selon lui, la pire d’un point de vue économique, mais les années suivantes risquent d’être également difficiles, d’où la nécessité de se mettre en mode économie.
L’ex-professeur en gestion entrevoit une période de consolidation, un peu comme à l’époque du moratoire dans le porc il y a quelques années. Il faudra, selon lui, considérer les acquis et faire mieux avec ce qu’on a, une réflexion qui passe obligatoirement par une saine gestion financière. « Le but premier de tout entrepreneur agricole est la pérennité de l’entreprise. C’est ce qu’on doit avoir en tête. »
Attention aux dettes et aux dépenses
Les plus vulnérables à la hausse des taux d’intérêt et la prochaine récession sont ceux qui ont investis massivement, soit au niveau des bâtiments ou de la machinerie, et dont la marge de manœuvre se trouve à être la plus faible, particulièrement les producteurs qui n’auraient pas profité des taux bas d’intérêt, malgré les signaux. « Ceux qui mènent leurs affaires comme si tout allait continuer à aller de la même manière, même sur les choses qu’ils ne contrôlent pas, doivent revoir leur manière de faire ».
Denis Boies conseille de profiter des mois d’hiver, où les revenus dépassent habituellement les dépenses, pour revoir en entier les dépenses. « Il faut dégager le fonds de roulement pour trouver de l’argent pour le printemps ». Il recommande d’établir un budget et de se poser des questions pour tout, en se basant sur les marges bénéficiaires de chaque activité, plutôt que les revenus, pour décider où couper ou investir.
Le but est de créer un coussin, de la liquidité, qui repose sur de l’argent sonnant et trébuchant, plutôt que des actifs ou une marge de crédit. Denis Boies avertit qu’une crise de liquidité pourrait se pointer à l’horizon pour plusieurs. Les banques jusqu’alors accommodantes risquent de l’être beaucoup moins dans les prochains mois.
Pour les producteurs dont les journées sont plus que remplies, engager un conseiller en gestion serait un 3000$ bien investi, plaide-t-il, surtout pour ceux qui n’ont pas la bosse des chiffres. Tout comme on s’entoure de conseillers pour les activités de la ferme, il faut joindre à l’équipe un conseiller financier. « Il faut être conscient de sa faiblesse et la combler », insiste-t-il.
Surtout, Denis Boies souhaite que la gestion occupe sa juste place dans les entreprises agricoles. « Il ne faut pas que le coup de barre qu’on donne actuellement pour atteindre une saine gestion financière soit éphémère. Il doit demeurer. »