Depuis quelques années, les frites « made in China » grignotent des parts de marché dans des pays comme l’Indonésie, les Philippines et même le Japon — des débouchés historiques pour les exportateurs nord-américains. En cause : un produit à moindre coût qui déstabilise la concurrence.
« Il se passe beaucoup de choses dans le secteur de la transformation de la pomme de terre à l’échelle mondiale », observe Victoria Stamper, directrice générale des Producteurs unis de pommes de terre du Canada. « La Chine et l’Inde achètent littéralement des parts de marché en Asie. »
Un boom alimenté par la restauration rapide
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Un rapport publié fin avril par DCA Market Intelligence dresse un portrait sans équivoque : la Chine est devenue un « géant des frites surgelées ».
La demande est stimulée par l’essor fulgurant de chaînes comme KFC et McDonald’s, qui ouvrent des restaurants à grande vitesse partout en Chine. Alors qu’en 2019, le pays dépendait encore largement des importations, il est devenu dès 2022 un exportateur net.
« Des investissements majeurs soutiennent cette montée en puissance », rapporte Potato News Today. L’exemple phare : la nouvelle usine ultramoderne de Lamb Weston inaugurée en novembre 2023 à Ulanqab, en Mongolie intérieure — surnommée « la capitale chinoise de la pomme de terre ».
Une menace pour les exportations canadiennes
La Chine produit aujourd’hui suffisamment de frites pour nourrir son marché intérieur et inonder les marchés voisins — y compris le Japon, pourtant longtemps fidèle aux frites américaines.
« Ce n’est plus le cas », avertit DCA. « La liste des pays importateurs de frites chinoises ne cesse de s’allonger. »
Cette redistribution des cartes en Asie de l’Est a des conséquences jusque dans nos champs. Le Canada, qui a exporté pour 2,7 milliards $ de produits de pommes de terre congelés en 2023-2024 (principalement vers les États-Unis), pourrait voir la demande fléchir.
Pourquoi? Parce que le Japon, en important moins de frites américaines, réduit indirectement la demande de frites canadiennes utilisées pour approvisionner le marché américain.
Un avertissement clair : la Chine ne fait jamais les choses à moitié
Mme Stamper n’est pas surprise par cette percée chinoise.
« Mon expérience avec la Chine, c’est que lorsqu’ils s’attaquent à un secteur, c’est soutenu par l’État, très organisé… et progressif », dit-elle.
« On ne les voit pas venir. Puis un jour, on se retourne, et ils sont devenus un compétiteur redoutable. C’est exactement ce qui se passe. »
Moins de pommes de terre en sol canadien
Des surfaces en net recul au Manitoba et au Nouveau-Brunswick
À la suite de cette pression mondiale, les superficies de pommes de terre au Canada sont en baisse. Selon Mme Stamper, elles devraient chuter de 1,5 à 2 % en 2025 comparativement à l’an dernier.
En 2024, elles atteignaient 158 200 hectares (391 000 acres), selon Statistique Canada. La réduction concerne surtout le Manitoba et le Nouveau-Brunswick, où certains transformateurs ont réduit leurs contrats de production.
Au Québec comptant 230 producteurs en 2023, la superficie consacrée à la culture de la pomme de terre est aussi touchée. En 2022, elle était de 18 400 hectares (45 500 acres), puis de 17 100 hectares (42 300) acres) en 2023. Les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches ainsi que Montréal, Laval et Lanaudière sont les principales régions productrices.
Incertitudes et menaces tarifaires
Aux États-Unis, la baisse des superficies pourrait atteindre 3,5 %, selon les dernières projections. Mais pourquoi les transformateurs réduisent-ils leurs besoins?
Difficile à dire, selon Mme Stamper. L’explication pourrait se cacher dans la menace persistante de tarifs américains sur les frites canadiennes.
Pour l’instant, aucun droit de douane ne s’applique, mais l’incertitude plane, et elle freine les décisions.
Traduit et adapté d’un article du Western Producer.