On l’oublie peut-être, surtout comme consommateur, mais la pandémie a secoué le secteur agroalimentaire comme aucun autre événement récent n’avait pu le faire. Les impacts se sont fait sentir à tous les échelons de la chaine alimentaire ainsi qu’aux niveaux autant local qu’international. Un panel de discussion appelé Perspective: opportunité, réflexions, actions organisé par le CRAAQ a abordé l’angle des Dynamiques québécoises et canadiennes après avoir discuté dans un événement précédent les enjeux internationaux.
La discussion animée par Vincent Cloutier, conseiller principal agriculture et agroalimentaire à la Banque Nationale, a permis d’entendre deux acteurs incontournables dans le secteur, soit Roger Massicotte, président d’Agropur coopérative et producteur, ainsi que Richard Davies, vice-président principal ventes et marketing chez Olymel. La rencontre à laquelle s’ajoutait Maurice Doyon, professeur au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, a permis une rare incursion sur les impacts de la pandémie et les actions qui ont été mises en place pour surmonter la crise.
À lire aussi

Les grains plombés par les bonnes conditions
Une semaine après avoir engrangé de fortes hausses, les principaux grains repartent de plus belle à la baisse.
Richard Davies dit avoir eu une sonnette d’alarme dès le 25 janvier du bureau d’Olymel à Beijing que quelque chose de grave se passait en Chine. Les problèmes n’ont pas tardé avec les activés portuaires perturbées par un confinement qui ont fait se refouler les cargaisons de viande, un problème de taille pour le transformateur qui achemine 20% de sa production en Chine. En mars, ce fut le tour des installations québécoises d’être affectées avec la fermeture de deux usines, celle de Yamachiche et celle d’Ange-Gardien (F. Ménard). Durant les six prochaines qui ont suivi, Olymel s’est ajustée en augmentant ses mesures sanitaires en usine et en modifiant son offre de produits pour hausser les volumes à l’abattage. Sa diversification ainsi que ses ententes avec ses partenaires ont fait la différence, selon M. Davies. Les coûts directs de la COVID-19 en ce moment sont évalués à 35 M$.
Le son de cloche est semblable chez Agropur, à la différence que le secteur laitier vivait déjà une situation difficile avec l’entrée en vigueur du nouvel ALENA, un marché de plus en plus compétitif et des habitudes de consommation en transformation. Roger Massicotte rappelle que le coronavirus est arrivé après un blocus ferroviaire auquel s’est ajouté un blocus au Port de Montréal. Heureusement, » toute la chaine d’approvisionnement a répondu à l’appel « , indique le président d’Agropur. Même avec une volatilité jamais vu du prix du fromage aux États-Unis, une chute de 35% des approvisionnements des HRI (hôtels-restaurants-institutions) et les bouleversements qui ont suivi de la ferme à l’usine, la coopérative a passé au travers. « Toutes les familles ont été affectées. Je tiens à lever mon chapeau à tout le monde, les gens en usine qui ont répondu à l’appel même si les écoles et les garderies étaient fermées. «
Main-d’œuvre
Vincent Cloutier a abordé une série de thèmes par la suite, dont un sur la main-d’œuvre. Questionné sur la réponse du secteur, le professeur Doyon a répondu que ce dernier avait démontré qu’il était performant et résilient. » Tout le monde a pu manger « , malgré la difficulté d’évaluer les impacts de la COVID-19. La question de la main-d’œuvre demeure centrale pour Olymel et Agropur. M. Davies a indiqué que les opérations revenaient tranquillement à la normale en septembre. Alors que les étudiants remplacent habituellement durant l’été les travailleurs en vacances, ils étaient absents cette année. Pour M. Massicotte, le quart de travail de nuit reste un défi et les hausses de salaires n’offrent pas de solution miracle. Dans certaines usines, la situation est tellement serrée qu’elle frôle l’arrêt des activités.
Marchés extérieurs
Roger Massicotte a profité de l’occasion pour parler des impacts du nouvel ALENA qui sont bien réels et se concrétisent par une perte d’accès aux produits d’ici de 10% à 15% en raison de l’entrée de produits américains, et donc une perte de la croissance du marché canadien pour les producteurs. La COVID-19 semble toutefois avoir eu comme effet de faire prendre conscience de l’importance du secteur agricole auprès des gouvernements. » La COVID a rappelé que le besoin de manger est essentiel (…) J’ai l’impression qu’on a traversé une grande barrière en montrant l’importance de l’accès pour les consommateurs aux aliments. Si on renégociait l’ACÉUM maintenant, je ne suis pas sûr qu’on aurait les mêmes résultats (…) Les gouvernements se sont rendus compte que l’autonomie dans les assiettes, ce n’est pas rien. »
En contrepartie, les marchés d’exportations ont leur place, a indiqué M. Doyon. Il s’agit d’un des rares secteurs où la balance commerciale est positive, tout en étant un moyen d’augmenter la richesse de la population en ayant la possibilité de vendre des denrées à l’étranger. Les États-Unis représentent d’ailleurs une plaque tournante importante pour Agropur. Reste maintenant au Canada de remplir ses promesses pour permettre d’exporter des produits, comme le lait écrémé ou les solides de gras. Tout n’est pas qu’une question d’accès cependant. M. Davies a expliqué que malgré les besoins de la Chine pour la viande de porc, les capacités des infrastructures chinoises n’étaient pas adéquates pour passer de la viande fraiche locale, comme c’était le cas avant la peste porcine africaine, à de la viande réfrigérée ou congelée provenant de l’extérieur.
D’autres ententes, comme l’accord de libre-échange avec l’Union européenne, ne remplit pas ses promesses en raison des limites liées à l’accès pour les produits canadiens. Avec 60 000 tonnes de viande de porc par année, le marché européen a été qualifié de peanut par rapport au marché chinois s’élevant à 300 000 tonnes par année pour Olymel.
Du consommateur à la protéine végétale
Le panel a aussi permis d’aborder la question des habitudes et les tendances de consommation. Le consommateur changera-t-il de façon permanentes ses manières de faire à la suite de la COVID? Pour M. Davies, il semble évident que des changements auront lieu, même s’il est difficile d’évaluer quels seront ces derniers. Est-ce que les gens apprécieront davantage l’accès à des produits, comme ce fut le cas avec la guerre en Europe? Cela serait surprenant, mais des changements de comportements ne sont pas à écarter. À preuve, certaines catégories de produits ont augmenté de 20% à 30%. » Les gens ne cuisinent peut-être pas mieux, mais ils apprennent vite. » Le télétravail apportera certainement d’autres habitudes, appuie M. Massicotte. Ce dernier souligne que le consommateur est plus curieux de la provenance des produits et veut en savoir davantage. » Il faut être à l’écoute. «
Dans la même veine, la montée en popularité des protéines végétales et des produits liés, tels que ceux faits par Beyond Meat, a été abordée. Bien que la tendance ne soit pas niée, il faut la relativiser, selon M. Davies. Si ce marché est évalué en 2025 au niveau mondial entre 10 et 15 G$, soit un million de tonne métrique par année, ce chiffre demeure bien en deçà des 500 millions de tonnes par année consacré aux diverses viandes et poissons produits dans le monde. Avant que la tendance deviennent majeure (mainstream), beaucoup de temps devra s’écouler, mais cela n’empêche pas un transformateur de s’y attarder et de veiller à demeurer intéressant pour demain, en surveillant par exemple la saturation de certains marchés, comme celui de la volaille.
Toutes les protéines ne se valent pas, selon le président d’Agropur. La demande pour les protéines animales pour la fabrication de médicaments ou les besoins des athlètes en est une preuve. La Chine s’approvisionne d’ailleurs du Canada pour ses produits laitiers en poudre en raison de leur qualité.
La situation fait dire au professeur Doyon qu’il serait possible de voir se développer une distinction entre les différentes sources de protéines, comme ce fut le cas pour le gras où on a fait la différence entre les bons et mauvais gras. Mais même si un scénario d’une diète sans viande animale doit être écarté, il revient tout de même au secteur de l’élevage d’éduquer les consommateurs sur leurs pratiques. » Démêler les consommateurs entre, par exemple, un boeuf nourri au pâturage et un autre aux grains et les impacts que ça encoure sera tout un défi. »