Le monde agricole n’est plus le même qu’il était il y a à peine six mois, gracieuseté des tarifs américains mis en place par le président américain Donald Trump. Dans ce contexte, les chaînes d’approvisionnement se réorganisent et les pays recherchent de nouveaux alliés.
Malgré les impacts indéniables des tarifs sur son économie et son secteur agricole, le Canada n’est pas sans atouts dans une démarche de diversification des marchés.
C’est en substance ce qu’a présenté Christophe Lafougère, directeur général et directeur du pôle laitier de Gira, une société de conseil située en Suisse. Il était un des conférenciers invités lors du 3e Sommet de l’exportation agroalimentaire, présenté par Financement agricole Canada le 17 juin dernier. Alors que le Canada cherche à diversifier ses partenaires, M. Lafougère a présenté un portrait des secteurs les plus fragiles et les mieux positionnés, ainsi que les tendances à surveiller en agroalimentaire.
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Nouvelles alliances
Dans un monde où un partenaire commercial comme les États-Unis n’est plus sûr, les alliances se réorganisent. M.Lafougère dit s’attendre à ce que des accords commerciaux soient réouverts, comme l’Accord économique et commercial global (AECG), afin de permettre à la fois au Canada et à l’Union européenne (EU) de remplacer les États-Unis.
À ce jeu, le Canada n’est pas seul. Le Mexique est aussi sur la ligne de départ, tout comme les pays de l’Amérique du Sud ou d’Asie. D’autres pays vont réinvestir dans leurs propres structures. C’est le cas de la Chine qui bâtit une usine de lactosérum, prévue ouvrir en 2026.
D’un point de vue québécois, l’expert estime que les secteurs de la confiserie, des légumes et des produits de la mer sont les plus exposés aux tarifs américains et ont le plus de potentiel de subir des pertes.
Les tarifs sont toutefois une arme à double tranchant qui pénalisera autant les Américains puisqu’ils dépendent de nombreux ingrédients produits par le Canada, le Mexique et la Chine. De plus, les produits étrangers taxés seraient difficilement remplaçables par une production locale. Par exemple, 94% du poisson consommé aux États-Unis est importé.
Possibilités intéressantes du côté des élevages
À l’opposé, les secteurs relevant des élevages offrent des possibilités intéressantes pour le Canada. Avec une consommations mondiale de viande prévue augmenter dans les prochaines années, le Canada a fait la preuve qu’il peut répondre à des exigences locales, comme au Japon où le porc canadien est très bien implanté. À ce chapitre, le porc produit ici pourrait trouver d’autres marchés, par exemple celui du Mexique qui est un importateur net de porc américain.
Le secteur laitier comporte pour sa part deux facettes, celles de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) et la demande mondiale pour les protéines. D’une part, M.Lafougère est convaincu que la gestion de l’offre sera de nouveau débattue lors des prochaines négociations (la conférence a eu lieu avant l’adoption de la loi fédérale protégeant la gestion de l’offre).
D’autre part, la demande mondiale pour les protéines laitières ne s’amenuise pas. Avec des productions qui vont plafonner dans différentes parties du monde, dont la Nouvelle-Zélande et l’Europe, le Canada pourrait jouir d’un avantage important sur ce marché, par rapport aux autres pays. Il projette l’image d’un pays fournissant des produits de qualité, faits selon des normes élevés et agroenvironnementales, des qualités recherchées.
L’expert est d’ailleurs revenu à plusieurs reprises sur l’atout dont dispose le Canada sur le marché mondial au niveau de la qualité de ses produits. Il faudra, selon lui, miser là-dessus pour chercher de nouvelles parts de marchés.
La même logique s’applique dans les tendances actuelles du domaine agroalimentaire, que ce soit les produits protéinés, la nutrition sportive, la mode des produits « sans » (sans gluten, sucre, sel, etc.) et le développement durable.
Pour ce qui est des prochaines années, M.Lafougère s’attend à ce que les tarifs américains demeurent en place, ce qui voudrait dire, au mieux, un pourcentage de 10% en Europe. Une hausse des prix est également inévitable aux États-Unis, ce qui entrainera une perturbation des chaines d’approvisionnement.
Il s’attend aussi à une réorientation de certains produits sur le sol américain vers d’autres horizons. Le statu quo risque cependant de prendre le dessus sur certaines décisions d’investissement, considérant l’échéance de quatre ans de la présidence américaine. Le potentiel d’exportation pour le Canada est toutefois bien réel, puisque de nombreux partenaires voudront faire affaires avec des pays amis.
L’angle politique des relations canado-américaines
Rafael Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQÀM et analyste bien connu des médias, était également présent au Sommet où il a exploré les relations futures du Canada avec les États-Unis.

Ce dont on peut être sûr, a t-il dit, c’est que le contexte actuel est très volatil et imprévisible. « Quand il est question de politique, tout peut changer très rapidement », a indiqué l’analyste. Toutefois, même le président américain est confronté aux réalités du marché. Face à la politique des tarifs américains, le marché obligataire s’est révolté, ce qui a mené à une volte-face de l’administration américaine 12 heures plus tard.
Selon M. Jacob, l’ACEUM est « drôlement plus important que les tarifs ». « On va en parler beaucoup dans la prochaine année puisqu’il doit être reconduit, sinon il risque de voler en éclat. » Il s’agit d’un rare enjeu de politique intérieure américaine appuyé par des républicains et des démocrate, tout en bénéficiant d’un appui aussi de la population civile.
L’expert estime que l’accord est « presque assurément solide dans le long terme », ce qui ne veut pas dire que des concessions ne seront pas demandées, dont sur la gestion de l’offre. Et si les tarifs et les taxes sont une histoire parmi d’autres aux États-Unis, il s’agit d’une question existentielle pour le Canada dont l’économie repose sur l’exportation. Le marché américain n’est pas un marché dont on peut se détourner en claquant des doigts, a illustré M. Jacob.
Pour les politiciens canadiens, la meilleure stratégie serait de tuer dans l’œuf tout conflit économique, mais le président Trump est un formidable épouvantail qui pourrait s’avérer trop tentant d’utiliser sur la scène canadienne.
Quant aux discours de Trump faisant du Canada le 51e État américain, M. Jacob écarte toute discussion. Ce scénario est trop invraisemblable, selon lui. Il conseille plutôt de prendre sa télécommande et de tout simplement éteindre la télévision, loin des médias qui entretiennent cette histoire.
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