Pâturer sans clôture

Publié: 25 juin 2025

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Les colliers eShespherd se portent au cou des vaches. L’énergie solaire permet de recharger la batterie. Ils permettent de géolocaliser les animaux.

Sur sa ferme Redview Jerseys à l’Île-du-Prince-Édouard, Deanna Doctor utilise son ordinateur ou son téléphone pour changer ses vaches de parcelles de pâturage. Même sans fil électrique, les vaches savent où elles peuvent brouter ou non.

Pour Deanna Doctor, qui exploite la ferme avec ses parents Janna et Alain Remond, il n’est pas question de garder les vaches à l’intérieur à l’année.  Alors, lorsqu’elle a entendu parler des colliers qui permettent de maintenir les vaches dans une parcelle sans avoir à déplacer des fils électriques, elle voulait l’essayer. Le fait que l’équipement soit surtout connu pour son utilisation chez les bovins de boucherie ne l’a pas arrêtée.

La famille de Deanna trait 68 vaches de race Jersey en stabulation entravée. Toutefois, de juin à octobre, les vaches passent peu de temps à l’étable, environ deux heures le matin et deux heures en après-midi pour la traite. En d’autres temps, les vaches vivent à l’extérieur.

Deanna explique qu’avant 2024, la production laitière diminuait durant l’été. « Vous faites cela parce que c’est une passion, mais ça affecte le compte de banque », dit-elle. Ça prenait aussi beaucoup de temps pour déplacer les clôtures, sans parler des vaches qui brisaient les clôtures et qui se retrouvaient à brouter du maïs dans le champ voisin. Deanna dit qu’ils devaient améliorer leur système ou se résoudre à garder les vaches à l’intérieur.

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Solution : colliers

Sur les réseaux sociaux, Deanna a vu qu’une amie productrice de bovins de boucherie en Ontario avait commencé à utiliser les colliers eShepherd de la compagnie Gallagher. « J’étais confiante que ça pourrait fonctionner en production laitière », dit-elle.  

Le défi pour la production laitière comparativement aux bovins de boucherie, c’est que les vaches de boucherie sont toujours à l’extérieur. Toutefois, en production laitière, les vaches doivent revenir deux fois par jour à l’étable pour se faire traire. Après discussion avec le représentant, la compagnie lui a envoyé 70 colliers à essayer dans ses pâturages à partir du 24 juin 2024.

Ces colliers se portent au cou des vaches et sont autonomes grâce à des panneaux solaires sur le côté qui fournissent l’énergie pour recharger la pile. La parcelle est déterminée sur l’ordinateur ou le téléphone de Deanna et l’information est communiquée aux colliers des vaches.

Comme clôture physique, il n’y a que la clôture de périmètre. Toutes les subdivisions sont virtuelles.

Lorsque la vache « touche » virtuellement la clôture, le collier émet un son. Si la vache ne s’éloigne pas, une impulsion lui est alors transmise par le collier. Cette combinaison de son et d’impulsion survient trois fois avant que le système considère la vache comme évadée.

Selon Deanna, il a fallu trois jours aux vaches pour comprendre qu’elles ne devaient pas avancer lorsqu’elles entendent le son. Après cet apprentissage, les vaches tournaient dès qu’elles entendaient le premier son.

Les informations de géolocalisation de chaque vache sont envoyées à toutes les 10 minutes à l’ordinateur ou au téléphone cellulaire de Deanna. Le système génère des statistiques pour chacune des vaches, comme les endroits où elle a marché et la distance parcourue. Il lui est aussi possible d’avoir des cartes de fréquentation des pâturages et ainsi connaître les parties de champs préférées des vaches et à quelle heure du jour.

Ces informations l’aident dans la prise de décision quant à l’établissement des périmètres de ses champs ou encore pour les choix des espèces à semer. Les statistiques lui ont notamment permis d’apprendre que les vaches passent beaucoup de temps à paître au milieu de la nuit. « Je n’en savais rien », dit-elle.

Apprentissage

En raison de la production laitière, Deanna a dû travailler pour trouver la façon de ramener les vaches à l’étable, de désactiver les colliers, traire les vaches, réactiver les colliers et retourner les vaches aux pâturages.

« En fait, ça a fonctionné à merveille, explique-t-elle. Ça nous a pris quelques jours pour comprendre la meilleure façon de travailler. Nous avons dû créer une petite zone de rétention pour les vaches car une fois qu’elles entrent dans la grange, leurs signaux GPS deviennent fous à cause des toits en acier. »

Une fois, les vaches revenues dans cette zone, ils désactivent les colliers, ce qui se fait par deux clics sur le logiciel.

Chaque matin après la traite, Deanna dessine une nouvelle parcelle sur l’ordinateur. La paissance est en bandes. Elle ajoute de 1 à 1,5 ha (2 à 4 acres) selon leurs besoins et l’endroit du champ. Elle sort les vaches dans la zone d’attente. Elle réactive les colliers. Puis, elle laisse sortir les vaches.

« Parce qu’elles ne peuvent pas voir où c’est, nous devons marcher au champ avec elles, ce qui est bien correct. Ensuite, elles trouvent les clôtures par elles-mêmes », explique Deanna.

Elle ajoute que les vaches Jersey sont très curieuses. Les vaches broutent côte-à-côte et lorsqu’elles commencent à entendre la tonalité, elles tournent. Sur le logiciel, Deanna sait combien de vaches ont touché la clôture.

La première journée, pour chaque son, il y avait un choc électrique. Pour la deuxième journée, c’était environ tous les deux sons. Après une semaine, il n’y en avait plus.

« Elles savaient toutes que dès qu’elles entendaient le premier son, c’était la ligne de clôture et qu’elles ne devaient pas la dépasser, raconte Deanna. C’est cool à voir parce qu’elles avancent toutes ensemble. Aussitôt qu’il y a un son, elles se mettent toutes à tourner et continuent de brouter. Elles ne paniquent pas. Elles continuent jusqu’à ce qu’elles entendent un nouveau son et elles tournent encore. »

Deanna est très satisfaite du résultat. « Elles broutent tellement bien et tellement efficacement », dit-elle.

En observant les vaches, Deanna a compris qu’elle devait faire des parcelles plus larges pour permettre aux vaches de brouter les unes à côté des autres.

Chaque jour, les vaches ont reçu une nouvelle bande du côté droit du champ. La ferme a 18 ha (45 acres) en pâturages, et l’ajout de 8 ha (20 acres) après la deuxième coupe de foin. La production laitière est restée stable tout l’été dernier. Les composantes du lait sont aussi restées élevées. Le pourcentage de gras est monté jusqu’à 6,7% alors qu’elles étaient sur une parcelle de Ray-Gras d’Italie.

Deanna dit qu’elle a reçu une aide incroyable de la part de Gallagher. « Ils sont très impliqués pour s’assurer que ce soit un succès », indique-t-elle.

Les pâturages lui procurent une meilleure vie de famille en été car les vaches récoltent leur nourriture et fertilisent les champs elles-mêmes, en plus de nécessiter moins d’ouvrage à l’étable. Surtout depuis qu’elle utilise les colliers.

Cet article a été publié dans notre édition de février 2025 du magazine papier. Vous n’êtes pas abonné? Pour remédier à la situation et ne rien manquer c’est ici: Abonnement au magazine

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À PROPOS DE L'AUTEUR

Marie-Josée Parent

Marie-Josée Parent

Agronome et journaliste

Marie-Josée Parent couvre les productions laitière, bovine, avicole et porcine au Bulletin des agriculteurs.