Quand alimentation rime avec rentabilité

La marge alimentaire, vous connaissez? La Ferme laitière Jean Labrie de Kamouraska au Bas-Saint-Laurent la maîtrise à la perfection.

Julie Plouffe, Sébastien Labrie et Bernard Labrie sont au diapason au sujet de la philosophie d’entreprise héritée du père de Bernard, Jean Labrie.

L’entreprise a obtenu la meilleure marge alimentaire du groupe robot des fermes de 100 vaches et plus compilé par les groupes conseils agricoles du Québec en 2020. Que fait-on de si spécial sur cette ferme?

Lorsque vient le moment de mesurer la rentabilité des entreprises agricoles, les conseillers en gestion aiment bien parler de marge alimentaire. C’est ce qui reste par unité de production après les dépenses en alimentation.

À la Ferme Jean Labrie, les rendements sont bons, mais la rentabilité est vraiment excellente. C’est que les coûts d’alimentation sont bas, malgré le fait que la ferme utilise des concentrés aux robots.

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Selon le conseiller en gestion agricole de l’entreprise, l’agronome Philippe Larouche du Groupe conseil agricole de la Côte-du-Sud, l’obtention de ces résultats « passe par une optimisation des rendements à la ferme tout en ayant un excellent contrôle des coûts, tant au niveau du coût des opérations culturales (affectant les coûts de production des fourrages et du maïs-grain autoconsommé à la ferme), de l’utilisation des intrants que du coût d’alimentation avec concentrés ».

Optimiser les rendements et la production

C’est exactement cela. Pour Bernard Labrie, la marge alimentaire n’est qu’un des paramètres de performances de l’entreprise. « La marge alimentaire, ça ne vient pas juste d’une sorte d’aliment, mais ça se reflète aussi dans nos coûts de production aux champs, nos coûts de production partout, explique-t-il. C’est une façon de voir les investissements, de les financer et de les rentabiliser projet par projet pour avoir une entreprise qui est toujours équilibrée et dans la zone d’efficacité optimale. Pas viser le top de production, mais viser l’optimum des ressources. »

D’ailleurs, le mot optimum est central dans la philosophie de l’entreprise. Julie Plouffe, la conjointe de Bernard, ajoute qu’un aspect de l’entreprise n’est jamais laissé de côté. Tout doit être également performant.

« La marge alimentaire vient de là : elle vient de l’efficacité de l’entreprise, dit Bernard. Ce n’est pas : on ouvre l’ordinateur et on travaille nos rations. Ça n’a aucun rapport. La marge alimentaire, ça vient des animaux qui sont performants, avec un environnement qui est confortable, l’environnement de travail qui est performant. Donc, on peut tirer le plus de lait possible par travailleur. C’est la qualité des aliments, la qualité d’entreposage, la méthode qu’on va utiliser pour soigner les animaux, c’est la qualité des aliments servis. C’est un tout. »

Cette philosophie a débuté dans les années 1980 alors que Jean Labrie, père de Bernard, est devenu membre d’un syndicat de gestion. « On a eu la chance d’avoir René Roy qui nous a coaché les 10 premières années, raconte Bernard. Il nous a amené à gérer les ressources de la ferme de manière équilibrée. »

Depuis, ils n’ont jamais cessé de faire partie du groupe conseil agricole. Lorsqu’on parle aux producteurs laitiers de la région ou même à Julie Plouffe, la phrase qui revient constamment, c’est « Bernard, il calcule tout, tout, tout ».

Et puisque la pomme n’est pas tombée loin de l’arbre, son fils Sébastien, qui a rejoint la ferme il y a trois ans, apprend à son tour à assimiler la philosophie familiale de saine gestion. « J’ai de bons mentors pour me montrer », dit-il.

Ensilage de maïs et d’herbe

Qui dit marge alimentaire, dit ressources transformées par les animaux. Les 250 animaux, dont 160 vaches en lactation, ont une ration composée principalement d’ensilage de maïs et d’herbe produit à la ferme.

Les superficies en cultures de 320 hectares sont plus importantes que les besoins du troupeau, ce qui leur permet de produire des grains pour la vente : blé d’alimentation humaine, soya et maïs-grain. Ça leur permet aussi d’ajuster leur production de maïs-ensilage en fonction des rendements en foin. Les dernières années, la région du Bas-Saint-Laurent a connu d’importantes sécheresses, mais la ferme n’a jamais manqué de fourrages. La ferme bénéficie de 2400 UTM.

L’amélioration de la marge alimentaire, ça se passe autant dans les champs que dans l’étable. C’est le cas notamment par l’utilisation des pratiques culturales durables. « L’agriculture durable, on pratique ça depuis toujours parce que c’est bon pour l’environnement, c’est bon pour nos sols et c’est bon pour la rentabilité de notre entreprise », explique Bernard.

Mais ils n’en font pas une religion. Si un sol est plus frais le printemps, ils ne se gêneront pas pour passer un coup de vibro pour réchauffer le sol. Julie et Bernard sont sur la ferme depuis 25 ans et c’est depuis ce temps qu’ils font du semis direct. De plus, jamais les prairies ne sont fauchées après le 1er septembre pour assurer une meilleure survie à l’hiver. Ils réussissent à faire trois coupes.

Tout est calculé

Certains choix, comme l’utilisation de moulée complète au robot ou le travail à forfait pour l’épandage de lisier, sont dispendieux sur la facture. Cependant, tout est calculé. Selon eux, ce sont les choix les plus économiques.

« La moulée la plus chère, c’est celle que les vaches ne mangent pas », dit Bernard. La moulée complète achetée est appétente, produit peu de poussière et attire les vaches au robot. L’entreprise utilise la moulée complète depuis 10 ans. « On ne suit pas les modes, dit Bernard. Ça va avec notre philosophie. On regarde, on essaie. Si ça fonctionne, on garde. »

À l’étable, l’alimentation et la traite sont automatisées. Non seulement des convoyeurs servent la ration totale mélangée aux vaches, mais aussi, des murets permettent de garder la ration près des vaches. De cette façon, les vaches ont toujours la ration à proximité.

Pour l’accès aux robots, les actionnaires ont choisi un trafic contrôlé. Selon Bernard, ça permet de diminuer les coûts d’alimentation. Les vaches ont trois accès anti-retour pour accéder à la mangeoire. Les stalles sont sur matelas avec une bonne couche de ripe. Les allées sont sur tapis.

Le taux de remplacement des vaches est entre 25 et 30%. Toutes les vaches sont génotypées. Les vaches choisies pour la reproduction sont saillies avec de la semence sexée. Les autres le sont avec de la semence de boucherie.

Quand leurs performances sont comparées avec celles des entreprises des groupes conseils, ils arrivent toujours dans les meilleurs, selon les commentaires de Julie.

« Ça vient de la façon de gérer ton set-up, dit Bernard. On a travaillé sur la génétique, le confort des vaches, sur l’efficacité du travail, les sols, les champs bien drainés. Il faut que ça produise au maximum. Si on n’a pas autant besoin de fourrages, on va faire plus de cultures. Qu’est-ce qui fait la rentabilité des entreprises? C’est de toujours tirer l’optimum de tes ressources. » L’optimum, c’est ce qui permet de tirer le maximum… intéressant.

Ferme Jean Labrie en bref

Kamouraska, Bas-Saint-Laurent.
Propriétaires : Bernard Labrie, Julie Plouffe et Sébastien Labrie.
Troupeau : 250 têtes, dont 160 vaches en lactation, en stabulation libre, traite robotisée, alimentation automatisée par convoyeur, veaux nourris à la louve.
Cultures : 320 hectares, dont les grains et les fourrages d’herbe et de maïs pour le troupeau, et du blé d’alimentation humaine, du maïs grain et du soya pour la vente. Fourrages entreposés en silos tours.
Particularité : La ferme se distingue par sa marge alimentaire.

Performances Ferme Jean Labrie

CritèresRésultats de la fermeGroupe de tête robot
Taux de charges (%)4050
Marge alimentaire coût ($/kg)13,5911,73
Marge alimentaire coût ($/vache)5 2455 040
Lait/kg concentré (litres)3,753,27
Kg m.g./vache386430
Coût concentrés ($/t.m.)395475
Coût des concentrés troupeau (% paie)1521
Coût de production des fourrages ($/t.m.s.)164202
Rendement (t.m.s./ha)5.5 (8,1 en 2019)6,6
Source : Via Pôle d’expertise en services-conseils agricoles, années de comparaison 2020 (les données du groupe robot ne sont pas disponibles pour 2021 et les données de la ferme sont similaires en 2020 et 2021)

La mangeoire est fermée par un panneau pour que l’aliment soit toujours à la portée des vaches. photo: Marie-Josée Parent
En raison de l’entreposage disponible à la ferme, la base de l’alimentation est composée d’ensilage d’herbe l’été et d’ensilage de maïs en hiver. Si les rendements de foin sont faibles, comme les dernières années, la Ferme Jean Labrie ensilera davantage de maïs-ensilage. Voilà pourquoi l’entreprise n’a pas manqué de fourrages durant ces années difficiles. photo: Marie-Josée Parent
Les vaches taries et en préparation au vêlage sont alimentées avec principalement du foin sec. Depuis 2019, les vaches ont accès à une aire de couchage sur litière accumulée, ce qui améliore leur longévité. photo: Marie-Josée Parent
La distribution de l’alimentation est automatisée par des courroies, même pour l’élevage des génisses. photo: Marie-Josée Parent
L’accès au robot est contrôlé. « Ça permet de réduire les coûts d’alimentation », dit Bernard Labrie. photo: Marie-Josée Parent
Les jeunes génisses sont nourries à la louve. photo: Marie-Josée Parent
L’alimentation des vaches est principalement composée d’ensilage d’herbe et de maïs. photo: Marie-Josée Parent

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marie-Josée Parent

Marie-Josée Parent

Agronome et journaliste

Marie-Josée Parent couvre les productions laitière, bovine, avicole et porcine au Bulletin des agriculteurs.