Le lancement officiel le 20 février de la saison des sucres, organisé par Les Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ), a pris une couleur particulière cette année puisqu’elle coïncide avec le 35e anniversaire du plan conjoint qui a mis en place le marché collectif du sirop d’érable produit au Québec.
L’occasion est idéale pour jeter un regard sur les impacts qu’a eu le plan conjoint pour le secteur et faire un tour d’horizon de la situation actuelle, avec ses bonnes nouvelles d’un côté (une excellente récolte en 2024) et ses moins bonnes (des tarifs américains tout azimut). Des porte-paroles des PPAQ ont bien voulu se prêter au jeu d’une entrevue avec le Bulletin des agriculteurs.
Une transformation en profondeur de la production de sirop d’érable
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Un des premiers constats des 35 ans du plan conjoint est de réaliser à quel point le secteur a connu des changements en profondeur qui se reflètent aujourd’hui sur la manière de produire le sirop d’érable. Pour Luc Goulet, président des PPAQ depuis 2022, l’instauration d’une réserve stratégique de sirop d’érable en 2000 a eu un impact déterminant pour stabiliser les prix pour les producteurs.
« Une année comme on vient de passer en 2024, avec un surplus de production, normalement, le marché se serait effondré. Avec la réserve stratégique, ça nous permet de palier aux très petites et aux très grosses années de récoltes. »
L’outil est important pour sécuriser et continuer de développer le marché, ainsi que l’approvisionnement aux transformateurs. Avec une production moyenne estimée annuellement à près de 180 millions de livres de sirop d’érable au Québec, une logistique est nécessaire, tout comme le maintien d’un certain rapport de force.
Luc Goulet cite également le règlement sur le contingentement qui a été instauré à partir de 2004. En suivant le développement des marchés et la demande, des émissions d’entailles ont eu lieu périodiquement, en faisant une place particulière pour la relève.
« On a remis des contingent à 2000 nouvelles entreprises acéricoles au Québec en 2023 (…) Au niveau agricole, on est une des productions qui a su développer et accueillir un nouveau nombre de producteurs. »
Les investissements réalisés dans le secteurs représentent un demi-milliard de dollars, ajoute Luc Goulet. Ayant lui-même acheté son entreprise en 2007, il a pu constater les impacts de l’agence de vente et les conventions de mise en marché signées avec les transformateurs, qui sont d’autres éléments ayant contribué à la stabilité des prix et au développement des entreprises. D’autres mesures de sécurité des revenus ont été mise en place, entre autres avec la Financière agricole.
Une réserve qui reprend des plumes
Quant au contexte actuel pour le secteur acéricole, les bonnes nouvelles d’abord. La réserve stratégique de sirop d’érable des PPAQ, qui avait fait couler beaucoup d’encre pendant la pandémie, est de nouveau renflouée, grâce à la saison des sucres de 2024.
Si cette année est plutôt calme pour l’instant, en raison des températures froides depuis plusieurs semaines et de la neige tombée dernièrement, il en a été tout autrement en 2024. En s’appuyant sur les donnés de Statistique Canada, la production de sirop d’érable a totalisé 239 millions de livres. « C’est deux saisons en une », résume Joël Vaudeville, directeur des communications aux PPAQ.
Le printemps 2024 s’est prolongé jusqu’en avril, tout comme la collecte de la sève, ce qui a permis de renflouer la réserve stratégique de sirop d’érable qui avait considérablement été réduite après une très mauvaise saison en 2023, avec seulement 124 millions de livres de produit.
Les PPAQ prévoyaient pour le 28 février une réserve aux alentours de 50 millions de livres de sirop d’érable. Ce chiffre se situe loin des sommets atteints au tournant de la décennie, mais c’est beaucoup mieux que les 7 millions de livres du début de l’année dernière. La forte demande internationale pendant la pandémie et la plus faible production étaient en cause de la diminution drastique de la réserve, rappelle Joël Vaudeville.
L’exportation sur la sellette
Le sujet des tarifs est inévitable quand il est question de sirop d’érable. La menace de tarifs de 25% sur tous les produits canadiens vendus aux États-Unis frapperait le sirop d’érable de plein fouet, la production québécoise étant exportée à hauteur de 62% au Sud de la frontière, ce qui représente 100 millions de livres de sirop évalué à 400 M$.
Luc Goulet déclare que des communications ont lieu de part et d’autres de la frontière, auprès des transformateurs et de l’industrie. Il y a des éléments à considérer à court terme, mais le président examine tout autant le moyen et court terme. Le contexte très incertain rend une réponse difficile, mais des plans de contingence ont été développés.
Le ministre André Lamontagne du MAPAQ a rencontré la semaine dernière les filières spécialisées pour connaître les impacts anticipés. « Le gouvernement le sait très bien qu’il va devoir réagir pour accompagner les secteurs qui seront touchés par des tarifs », dit Luc Goulet. Les producteurs se sont votés des prélevés, tels que pour la réserve stratégique ou le développement, ce qui constitue un levier important pour la sécurité financière des producteurs.
Dans le débat des tarifs, Joël Vaudeville fait valoir que les producteurs québécois ont un avantage puisqu’ils sont les principaux producteurs mondiaux de ce sucre naturel. Le marché américain dépend donc du Québec pour s’approvisionner. Il est possible, admet-il, que certains troquent le sirop pour un autre agent sucrant, mais des alternatives existent pour les acériculteurs québécois.
Luc Goulet pointe la diversification qui a eu lieu dans les dernières années. « On exportait auparavant 80% de notre production de sirop d’érable aux États-Unis, un pourcentage qui est passé à près de 60%, même avec une augmentation de la production. » Les producteurs acéricoles exportent actuellement dans 60 pays, dont quatre pays importants en Europe. Les marchés de l’Ontario et de l’Ouest canadien pourraient également être développés, dit-il.
Il faut aussi assurer la demande au Québec qui se maintient, indique Joël Vaudeville. Le défi est d’attirer les néo-québécois. « C’est une clientèle plus difficile à conquérir. Il faut convertir ces gens-là et en faire des consommateurs réguliers. »
Prévisions de la saison 2025
À quoi ressemblera la saison 2025? Difficile à dire pour le moment, mais Joël Vaudeville fait remarquer qu’elle avait déjà débuté à la même date l’an dernier, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Si jamais 2025 devait s’avérer une année moyenne, l’octroi des nouvelles entailles devrait compenser, indique le responsable des communications. « Même avec une petite saison, il est difficile de dire si nous devrions octroyer de nouvelles entailles. Il y a trop d’incertitude lié aux marchés extérieurs ».
Depuis 2021, sept million d’entailles se sont ajoutées à la production au Québec et sept autres ont été accordées en janvier 2024. Ces dernières devront être installées d’ici le 1er avril 2026. En comptant une moyenne de 3 livres par entailles, la production nationale pourrait gonfler de 21 millions de livres de plus, grâce à l’ajout de 2021.
Le Québec comptera alors près de 60 millions d’entailles pour une capacité de production moyenne annuelle de 180 millions de livres de sirop d’érable.
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