Tarifs américains, à quoi s’attendre?

Publié: 26 février 2025

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Tarifs américains, à quoi s’attendre?

Tarif, tarifera pas? Personne ne sait encore vraiment si Donald Trump se lancera dans une nouvelle salve de tarification tous azimuts sur les produits canadiens. Certains jours, c’est inévitable d’écouter M. Trump. Mais parfois on se gratte la tête en se disant que tout ceci ne fait juste vraiment pas de sens …

Mais bon, heureux celui qui parviendra à prévoir quelle mouche voudra bien piquer M. Trump demain…

N’empêche, dans le cas des grains, ça fait un moment que toute cette histoire de tarifs me chicotte. J’étais spécialement curieux de savoir à quel point nous dépendions des États-Unis dans notre commerce de grains. À quel point nous avons tissé des liens serrés et importants au fil des ans avec les exportateurs et importateurs américains de grains et céréales canadiens. Et bien sûr, en bout de course, quel serait l’impact des tarifs américains sur notre marché canadien.

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On m’a demandé si j’anticipais une hausse plus importante du prix du maïs au Québec cette année, étant donné que la demande à l’exportation était plus forte que la normale cette année. C’est une excellente question, mais difficile à répondre.

J’ai donc plongé tête baissée dans la montagne de chiffres des bases de données de Statistique Canada sur les exportations et importations de grains au Canada. Je ne vous cacherai pas que d’essayer d’y voir clair n’a pas été aussi simple que je le pensais. J’espérais trouver des réponses rapides et faciles à interpréter pour conclure. Ce n’est pas le cas… Mais voici quand même quelques premiers constats accompagnés d’un tableau pour y voir un plus clair.

D’entrée de jeu, on ne tombe pas en bas de notre chaise. Le Canada est « surtout » et de loin un exportateur de grains. En moyenne depuis cinq ans, toutes destinations confondues, on parle de plus de 18,7 milliards de dollars qui sont exportés chaque année. À l’opposé, nous importons pas loin de 1 milliard de dollars de grains et céréales par année. C’est relativement peu par rapport à ce que nous exportons, bien entendu.

Rentrons maintenant dans le croustillant de ce que ces chiffres nous révèlent par rapport à notre relation avec nos voisins du Sud concernant notre commerce de grains.

  1. De manière globale, seulement 9% de la valeur de nos exportations sont à destination des États-Unis. En d’autres mots, oui les États-Unis sont l’un de nos marchés d’exportation et il n’est pas nécessairement négligeable. Mais il n’est certainement pas non plus le premier dans notre liste.
  2. C’est de loin et surtout nos exportations d’avoine qui dépendent d’acheteurs américains. En chiffre, on exporte en moyenne plus de 594 M$ d’avoine par année depuis cinq ans, dont 82,3% à destination des États-Unis.
  3. Le blé retient aussi l’attention, surtout parce que la valeur de nos exportations aux États-Unis, 774,7 M$, représente 44,6% de la valeur totale des grains et céréales qui y sont exportés. Par contre, nos exportations de blé à destination des États-Unis ne représentent que 7,9% de tout ce que nous exportons comme blé chaque année partout dans le monde.
  4. 97% de nos importations de grains et céréales sont en provenance des États-Unis. Pas nécessairement surprenant considérant la proximité, mais quand même…
  5. En valeur, le principal grain que nous importons des États-Unis est de loin le maïs à en moyenne 871,2 M$ par année depuis cinq ans. Très loin derrière, nous retrouvons ensuite le soya, à seulement 40,2 M$ par année.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ces quelques constats?

Tout d’abord, ne nous mettons pas la tête dans le sable avec ces chiffres en nous disant que, finalement, on exporte peu aux États-Unis. Le 9% ou 1,735 milliard de dollars de grains qu’on y exporte est assez pour avoir un impact négatif sur nos marchés locaux. Ce sera particulièrement le cas pour l’avoine dont le principal marché est comme nous venons de le voir les États-Unis.

Mais on garde surtout en tête que si nous éprouvons plus de difficulté à être compétitif sur le marché américain en raison de tarifs, par ricochet, ce trop-plein de grains viendra gonfler nos marchés locaux. Cette situation sera particulièrement vraie et difficile sur un horizon de 1-12 mois, le temps que de nouveaux canaux de vente intéressants se développent ailleurs, vers d’autres destinations.

Là où on peut voir le verre à moitié plein plutôt que vide se retrouve dans la diversité que l’on observe dans nos exportations canadiennes de grains. En dehors de l’avoine, on peut facilement constater que pour les autres grains, nous sommes confortablement sous la barre du 20% de nos exportations à destination des États-Unis, et parfois encore beaucoup moins.

Le Canada est donc déjà largement tourné vers le monde plus que vers les États-Unis pour exporter. On ne part pas de zéro finalement. Et avec notre faible dollar, nul besoin de vous dire que nous avons le vent dans les voiles pour vendre encore plus facilement ailleurs qu’aux États-Unis.

On peut donc trouver une certaine forme d’optimisme pour le marché des grains canadiens dans toute cette histoire. On ne transige finalement pas tant que ça avec les États-Unis, mais surtout avec le reste du monde. Mais il n’en reste pas moins que s’ils sont mis en place, les tarifs ne seront rien de bon.

Là où les choses peuvent se corser aussi, c’est que cette brève analyse en reste une de surface. Par exemple, je n’ai pas décortiqué la valeur et les quantités de grains canadiens qui ont été transformées ici, puis exporté ensuite aux États-Unis. On peut penser notamment à la farine, aux flocons, à la semoule ou encore aux tourteaux et aux huiles de soya et de canola…

Je ne m’attarde pas non plus à tous les grains et céréales, pas plus qu’à des marchés de spécialités ou encore à celui du biologique. Enfin, je n’évalue pas les dommages collatéraux non plus.

Je n’ai pas de chiffres en main, mais avançons simplement l’idée que nous exportons beaucoup de porc aux États-Unis. Alors si c’est le cas, un marché du porc canadien sur la corde raide en raison de tarifs américains ne manquerait pas d’affecter aussi à terme la demande pour les grains, spécialement le maïs.

Ce qu’on peut conclure? À court terme, des tarifs américains sur nos exportations de grains et céréales canadiens risquent de faire mal, spécialement dans les mois suivant leur mise en place. Mais considérant que le Canada transige déjà bien davantage ailleurs qu’aux États-Unis, l’effet négatif pourrait être tempéré et se résorber en bonne partie en quelques mois, surtout si notre dollar reste sous pression. Sauf qu’on ne doit pas négliger non plus que certains marchés de grains et céréales plus spécialisés risquent d’être plus durement touchés. Enfin, on ne doit pas sous-estimer également les répercussions indirectes que pourraient subir les grains si les tarifs affectent plus durement d’autres marchés comme celui des viandes.

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À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.