Sécheresse : grande inquiétude en Abitibi

Plusieurs producteurs de la région sont en colère contre la façon de calculer les pertes de la Financière agricole

Publié: 15 mars 2024

,

Abitibi 2023

L’été 2023 a été tellement sec en Abitibi que les producteurs de la région sont inquiets pour la prochaine saison. Si la sécheresse perdure en 2024, c’est la survie de plusieurs entreprises de la région qui est compromise, d’autant plus que les paiements de l’Assurance récolte sont jugés insatisfaisants.

La Ferme Lafontaine-Noël à Dupuy en Abitibi-Ouest a grandement souffert de la sécheresse à l’été 2023. En plus d’un gel hivernal qui détruisait les légumineuses dans les pâturages et les prairies de cette ferme vache-veaux, la sécheresse du printemps a empêché le sursemis de pousser. Pour ajouter aux difficultés de la ferme en 2023, les animaux ont dû être évacués au début juin en raison des feux de forêt qui sévissaient dans la région.

En plein été, la sécheresse était telle dans les pâturages que les producteurs Hélène Noël, Éric Lafontaine et leur fille Corine Lafontaine ont dû se résigner à nourrir les animaux avec des balles rondes en juillet. Malgré cela, le taux de chair des vaches était si bas que le taux de conception a été affecté. Les taures ont été particulièrement affectées à ce niveau. Et pas de veau, pas de paie pour les producteurs.

Vidéo effectuée à la Ferme Lafontaine-Noël le 22 juillet 2023.

Pour faire face à cette problématique, les Lafontaine-Noël ont dû acheter du foin, et ce foin était de seconde qualité. Ils ont aussi choisi de diminuer leur troupeau en le faisant passer de 350 vaches à 280 plus les 20 taures gestantes.

À lire aussi

Sécheresse : grande inquiétude en Abitibi

C’est bientôt la Tournée des grandes cultures

La Tournée des grandes cultures, dont le but est d’évaluer le potentiel de rendement du maïs et du soya, aura lieu cette année le 19 août dans plusieurs régions du Québec.

« On appréhende la prochaine saison parce qu’on a eu peu de neige [cet hiver] et du verglas, dit Hélène Noël. On appréhende la survie des plantes. Ça va affecter le rendement. »

En attendant, les factures d’achat de foin s’accumulent. « C’est plate parce que les prix [des veaux] sont bons », déplore Hélène Noël.

Pareil partout

L’agronome Vincent Chrétien, expert-conseil ruminant-végétal chez Novago Coopérative, explique que l’Abitibi a connu « une canicule sans précédent » à l’été 2023.

Abitibi 2023
Ce champ de luzerne-mil a été brûlé par le gel hivernal. La photo a été prise le 25 mai 2023. photo: Vincent Chrétien

« Malgré qu’on dit qu’on a eu de la pluie au printemps, les précipitations n’ont pas été assez constantes par la suite, c’est-à-dire en mai, juin, juillet et août, pour la croissance des plantes », explique-t-il.

Dès le printemps, les conditions n’étaient pas propices pour la croissance des prairies et des pâturages, les principales cultures de la région. Un gel printanier dans plusieurs champs n’a pas été détecté en raison de la sécheresse. Il en a découlé une première coupe « catastrophique ».

Les producteurs espéraient que la pluie arriverait et que la deuxième coupe pourrait sauver la mise. Pour aider, de la fertilisation a été ajoutée. « On n’a pas eu plus de rendement à la deuxième coupe », explique Vincent Chrétien. En fait, il y avait une baisse de rendement de 70% comparativement à une année normale.

Abitibi 2023
Cette photo prise le 12 août 2023 en Abitibi après la supplémentation en bale grazing. photo: Vincent Chrétien

Vincent Chrétien explique que les producteurs se sont retrouvés devant deux choix : acheter du foin ou vendre des animaux. Certains ont dû opter pour les deux choix, comme la Ferme Lafontaine-Noël.

« Cette année, ce sont les liquidités qui en prennent un coup », explique Vincent Chrétien. À court terme, les producteurs ont dû acheter du foin. Mais à plus long terme, cela aura un impact sur les entreprises car dès 2024, les producteurs qui ont dû diminuer leur cheptel auront moins de revenus, car moins de veaux à vendre. « Si on a vendu 100 vaches, c’est 100 veaux qu’on n’a pas [à vendre] », explique Vincent Chrétien.

Il ajoute que la situation n’a pas été facile pour les producteurs laitiers. Malgré des champs bien drainés, chaulés et fertilisés, plusieurs ont perdu leurs luzernières. Les fourrages, cultures d’urgence et l’implantation des prairies ont été affectés.

Abitibi
Ce champs est une implantation de luzerne-mil réalisée en 2023 en Abitibi. La photo a été prise le 26 septembre 2023 après la première coupe. photo: Vincent Chrétien

Hiver sans neige

L’hiver 2024 a été sans neige, ce qui fait craindre que la sécheresse perdure comme ce fut le cas dans le Bas-Saint-Laurent il y a quelques années. Que faut-il à la région? « Ce n’est pas compliqué, c’est des précipitations que ça nous prend, adéquates et au bon moment », explique Vincent Chrétien.

Une pluie importante en une seule journée n’est pas adéquate pour aider la croissance des plantes. Pour que le sol argileux de la région puisse absorber l’eau, il faut qu’elle tombe doucement pendant toute une journée. De plus, s’il fait chaud et qu’il tombe 2 millimètres de pluie, cette eau va s’évaporer. Elle ne sera dont pas disponible pour les plantes.

Colère régionale

Comme plusieurs producteurs de la région, Hélène Noël est déçue et en colère contre la façon de calculer les pertes de la Financière agricole du Québec. Selon les producteurs, les montants pour dédommager les pertes encourues sont loin de la réalité.

« L’avenir de nos fermes dépend de programmes de gestion de risque qui sont justes, équitables et adaptés à nos régions nordiques », expliquent les propriétaires de la Ferme Lafontaine-Noël dans une présentation faite pour sensibiliser les décideurs.

Vincent Chrétien explique que le mode de calcul de la Financière agricole ne tient pas compte de la réalité du terrain. L’organisme a pris des données de stations météo locales et a fait des moyennes sans tenir compte de l’eau qui a réellement servi pour la croissance des plantes. «Selon les précipitations calculées par les stations météo, la Financière a calculé une baisse de rendement de 50% pour la première coupe et de 25% pour la deuxième coupe pour une moyenne de 38%», explique Vincent Chrétien. Or, il estime la perte réelle autour de 70%.

Une explication à cela est que certaines précipitations n’ont tout simplement pas aidé à la croissance des fourrages. Ainsi, le 1er mai, il est tombé 50 millimètres de pluie. Or, le sol était gelé et ne pouvait pas absorber cette eau. » Selon l’agronome, l’achat de foin par les producteurs est du concret. « Les gens n’ont pas acheté du foin pour rien », dit-il.

La situation de la Ferme Lafontaine-Noël n’est pas unique. Une consultation de la page Facebook de la Fédération de l’UPA de l’Abitibi-Témiscamingue le démontre. Plusieurs producteurs ont fait des vidéos pour dénoncer la situation avec le peu de réalisme du dédommagement de l’Assurance récolte de la Financière agricole du Québec. Elles sont partagées sur cette page. « Monsieur le ministre de l’agriculture, allons-nous être compensés à la juste valeur de nos pertes ? », demande Gaston Coulombe.

Autre élément qui fait réagir : la publicité de la Financière agricole sur les réseaux sociaux sur laquelle on peut lire « Je choisis la tranquillité d’esprit, j’adhère à l’assurance récolte ». En fait, l’assurance récolte a besoin d’être mieux adaptée à la réalité pour apporter la vraie tranquillité d’esprit.

À lire aussi :

Besoin de 40 000 balles de foin en Abitibi-Témiscamingue

Météo : Au tour de l’Abitibi de crier à l’aide

Un début de dédommagement pour les producteurs de foin

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marie-Josée Parent

Marie-Josée Parent

Agronome et journaliste

Marie-Josée Parent couvre les productions laitière, bovine, avicole et porcine au Bulletin des agriculteurs.